Quatrième de couverture :
« Elle le détaille tandis qu’il va prendre sa place : les cheveux en broussaille, le visage encore ensommeillé, il porte juste un caleçon et un tee-shirt informe, marche pieds nus sur le carrelage. Pas à son avantage et pourtant d’une beauté qui continue de l’époustoufler, de la gonfler d’orgueil. Et aussitôt, elle songe, alors qu’elle s’était juré de se l’interdire, qu’elle s’était répété non il ne faut pas y songer, surtout pas, oui voici qu’elle songe, au risque de la souffrance, au risque de ne pas pouvoir réprimer un sanglot : c’est la dernière fois que mon fils apparaît ainsi, c’est le dernier matin »
Un roman tout en nuances, sobre et déchirant, sur le vacillement d’une mère le jour où son dernier enfant quitte la maison. Au fil des heures, chaque petite chose du quotidien se transforme en vertige face à l’horizon inconnu qui s’ouvre devant elle.
Mon avis :
Ce livre a su me toucher car il évoque avec beaucoup de tendresse et pudeur la relation mère-fils. Le thème me parle évidemment pour être moi-même maman d’un merveilleux petit garçon qui est venu chambouler mon cœur et ma vie il y a de cela bientôt huit ans. Alors certes, je ne suis pas encore confrontée au départ de la maison de mon unique enfant mais je peux d’ores et déjà imaginer ce que cela peut engendrer comme émotions.
J’étais curieuse de découvrir la manière dont Anne-Marie et son mari vont vivre le départ de Théo, leur dernier enfant. Ce dernier a pris la décision de s’installer dans un petit studio, près de la fac où il va poursuivre ses études, à seulement vingt deux kilomètres de chez ses parents. Alors que la maison va leur sembler bien trop grande pour tous les deux, Anne-Marie et Patrick vont devoir affronter le vide et la nouvelle vie qui s’offre à eux.
On va suivre cette dernière journée où Théo va prendre son envol, celle qui fera que plus rien ne sera plus jamais comme avant. Entre l’angoisse plus ou moins maîtrisée d’Anne-Marie, à fleur de peau qui donnerait cher pour arrêter le temps ou même revenir en arrière afin de continuer à vivre ces moments de complicité avec son fils, l’enthousiasme retenu de Théo qui par respect pour sa mère, restera maître de ses émotions.
C’est un sujet dont on parle finalement très peu alors que ce sont des moments vécus dans chaque famille. Comment peut-on vivre le départ de son dernier enfant de son domicile après lui avoir consacré la majorité de son temps, son énergie ? Nous avons tous conscience qu’il est tout à fait normal de voir partir ses enfants, prendre leur indépendance, réussir leur vie, être heureux. Mais comment vit-on réellement, tout au fond de soi, la perte de cette relation fusionnelle ? Accepter de les voir construire leur vie loin de la nôtre, ne plus partager ce quotidien fait de petits moments subtils dont on ne fait même plus attention mais qui nous manqueront terriblement lorsqu’on ne les vivra plus ensemble.
Chaque instant, de cette journée à part qui voit s’envoler les derniers moments de complicité, sera propice aux souvenirs. L’occasion de voir défiler les moments forts de ces années écoulées sous le même toit, faire le bilan à l’aube d’une nouvelle vie qui s’annonce. Alors que la majorité affirme que les hommes et les femmes viennent de deux planètes radicalement opposées, j’ai aimé observer la réaction, toute en nuance et différente, entre un père et une mère. Le questionnement sur la vie de couple, cette nouvelle vie à deux qui s’offre après une longue parenthèse consacrée aux enfants. Savoir se retrouver dans une intimité parfois perdue ? Ou se satisfaire de cet espace salvateur ?
L’auteur parle du temps qui passe, inlassablement, comme un rouleau compresseur dans nos vies si remplies. Vite, trop vite. Le temps des câlins qui voit grandir nos enfants toujours trop rapidement, s’affranchir de la protection bienveillante de leurs mères affolées qu’il leur arrive quelque chose. Il y aura forcément un avant et un après ce jour spécial du grand départ. Philippe Besson pose des mots d’une incroyable justesse et sincérité sur un événement que les mamans ne veulent pas forcément exprimer ou ne savent pas à qui se confier, de peur de se sentir incomprises ou ridicules.
Cette histoire offre un sentiment profond de nostalgie, de déchirement face à l’inéluctable temps qui passe et au départ parfois précipité de nos enfants. Alors profitons pleinement de chaque instant, savourons chaque rire innocent et chaque réplique loufoque, nourrissons nous de ces câlins et de cet amour qui déborde jusqu’aux étoiles, qui nous font croire que nous sommes les plus belles de l’univers. Offrons nous ces instants d’éternité où l’on se promet de toujours être là les uns pour les autres. Un livre touchant de vérité où l’on redécouvre avec tendresse un amour débordant entre une mère et son enfant ❤️ et le déchirement de voir ses petits s’éloigner. Une acceptation parfois difficile malgré un sentiment de fierté à l’idée de voir la chair de notre chair s’épanouir loin de nous.
Mes extraits :
• « Elle ne s’était pas offusquée de cette ostensible prise de distance – il était normal qu’ils se délient désormais – Elle avait juste ressenti un petit pincement au cœur. C’était terminé, ça ne reviendrait plus »
• « Elle pense à tout ce qui se joue en dehors d’elle, tout ce dont elle est exclue, tout ce que son fils ne lui confie pas, parce qu’un garçon de cet âge parle avec ses amis, pas avec ses parents, elle songe que son fils cloisonné naturellement son existence et que désormais elle se tient du mauvais côté, elle songe que, jusqu’à une période récente, elle savait tout et que désormais elle ne sait plus grand-chose, elle partageait l’essentiel et désormais elle n’a plus droit qu’à l’accessoire »
• « Sa progéniture a mobilisé son temps, sa vitalité, mis à contribution sa concentration, sa patience, son endurance, a remplacé des voyages, des rencontres, des surprises. Elle avait une occupation, un but. Comment fait-on quand cette occupation disparaît du jour au lendemain ? Avec quoi on remplit la vie ? »
• « Si elle en avait les moyens, elle expliquerait que vieillir n’est pas forcément une malédiction, que cela peut même être une consolation. Elle expliquerait également qu’une famille, ça se transforme, ça continue, et cependant ça reste cette chose qui tient chaud, qui rassure »
• « Il est tout disposé à admettre que la souffrance puisse être aussi vive, qu’on puisse être bouleversé, ravagé par l’émancipation de son enfant. Il ne fait pas de hiérarchie, mais il croit que cette souffrance, comme les autres, on la calme, on la guérit. Il lui dit que quelque chose les attend, elle et lui, une chose peut-être frugale et dérisoire, mais qui n’appartiendra qu’à eux et qui les tiendra vivants »
Ma note : 8,5/10