Quatrième de couverture :
« On m’a dit qu’au Japon, les gens qui s’aimaient ne se le déclaraient pas. Qu’on évoquait l’état amoureux comme une chose qui dépasse les êtres, les enveloppe, les révèle ou les broie. On ne dit pas « je t’aime » mais « il y a de l’amour » comme il y a du soleil. Je ne sais pas si vous aimeriez me revoir ou m’écrire. Il y a mon nom et mon adresse au dos de cette enveloppe et toute la vie à l’intérieur. Je suis prête à ce que vous ne vouliez rien en faire. J’espère pourtant que vous comprendrez ce que je ne vous dis pas. »
Alice est une femme empêchée, prisonnière de ses peurs et de ses souvenirs. Jusqu’au jour où un masseur japonais, d’une délicatesse absolue, la réconcilie avec son corps, avec elle-même. Et avec l’amour, peut-être.
Mon avis :
Amanda Sthers est une auteure qui me touche particulièrement. J’ai lu plusieurs livres d’elle et sa sincérité, son authenticité parviennent toujours me procurer des émotions. Ce livre court, de cent trente pages, ne fait pas exception. Je trouve son écriture pleine de délicatesse et de pudeur.
Alice, qui n’a pas eu une vie facile, reste marquée par les différentes épreuves qu’elle a traversées. Des traumatismes qui la maintiennent cadenassée, dans une souffrance qui lui colle à la peau et qu’elle n’arrive pas à dominer. Une solitude dans laquelle elle s’est enfermée et qui, quelque part, la rassure et la protège du mal que pourraient lui faire les autres. Elle n’éprouve pourtant aucune animosité ni rancoeur face au monde qui l’entoure.
Alors que sa fille Marine, la plus belle chose qu’elle ait réalisé dans sa vie, lui a demandé de venir vivre à Paris et de quitter son nord natal, elle a trouvé refuge dans un salon de thé Ukiyo. Des rituels se sont installés, de la dégustation des plus grands thés japonais à la cérémonie de massages réalisés par un homme d’une douceur extrême. Des gestes, si délicats et attentionnés, auxquels elle n’a jamais été habituée et qui vont lui procurer des émotions d’une force inestimable. Des massages dont elle ne pourra plus se passer tant ils ont le pouvoir de la réconcilier avec son corps. Elle qui ne l’a jamais aimé et en a ressenti tant de dégoût.
Alors qu’elle n’a jamais pu échanger avec cet homme, en raison de la barrière de la langue et malgré le fait qu’elle ai décidé de démarrer l’apprentissage du japonais au début de sa rencontre, elle décide de lui écrire une lettre. Car il est retourné au Japon sans lui dire au revoir. Un courrier tellement touchant de vérité, où elle lui confie des pans entiers de sa vie, ses failles et son intimité dans l’espoir qu’il apprenne à la découvrir telle qu’elle est, dans sa fragilité, et à l’aimer, pourquoi pas.
Une démarche difficile, car elle sait qu’elle s’expose à un rejet, mais la douceur de leurs échanges, à travers les gestes et regards, la conforte dans l’idée qu’elle peut faire confiance à cet homme. Bien des choses les relient. Elle ressent le besoin de lui écrire pour libérer ses mots, ses maux tout autant. On ressent la vulnérabilité, la sensibilité à fleur de peau, la renaissance, voir un retour de flamme et ces émotions si intenses qui en découlent.
Ce texte, court et puissant, est un retour à la vie grâce au pouvoir du toucher qui fait ressortir ces émotions enfouies depuis si longtemps. Une réconciliation avec son corps. Un livre magnifique et fort. Un livre pour remercier ceux qui nous font du bien, sans rien attendre en retour, juste dénouer des tensions, en étant attentif au bien-être des autres. Et permettent par leur délicatesse de se réconcilier avec la vie.
Mes extraits :
• « Je sais maintenant que le mot Ukiyo n’existe pas dans mon langage, qu’il veut dire profiter de l’instant, hors du déroulement de la vie, comme une bulle de joie. Il ordonne de savourer le moment, détaché de nos préoccupations à venir et du poids de notre passé »
• « Vous avez très délicatement touché mon cuir chevelu et manipulé tout doucement sa surface comme pour déplacer des idées dans ma tête ou pour faire ressurgir mes émotions et mes rêves enfouis »
• « Votre souffle me demandait d’inspirer avec vous, que je sois avec vous. Et dans ce duo d’exhalations, soudain je n’ai plus été seule et mes yeux ont laissé couler des larmes. Je libérais simplement de la vie. Je me remettais en marche »
• « Mon corps entier se relâchait, je m’écrasais dans le sol qui m’aspirait. Je me suis endormie comme une enfant, les muscles relâchés sans pudeur »
• « J’avais mis un mois à admettre que je voulais vous revoir, qu’il ne s’agissait pas seulement d’un massage. On peut sentir qui sont les gens qui nous touchent physiquemen, leurs émotions. Seul un être brisé peut en réparer un autre. On ne comprend la douleur que si on l’a fréquentée »
• « J’ai compris que j’étais étrangère à votre culture, que tout nous séparait sauf notre humanité et vos mains qui ont sauvé ma peau »
• « Les psychanalystes disent qu’on se construit aussi sur ses douleurs, que les failles sont des os, je ne les vois que comme des fractures »
• « La force des symboles n’a de la valeur que pour ceux qui ont vécu ou sont nés nostalgiques d’une vie oubliée »
• « Je pense qu’on peut avoir le cœur brisé, peu importe ce que contient le chagrin, de l’amour perdu, de la violence, de la peur, lorsque l’on reçoit une dose trop forte d’angoisse et de douleur, le cœur se déforme et on s’effondre »
Ma note : 8,5/10